Trois questions à Yann Goupil, référent accessibilité numérique de la Caisse des Dépôts

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je suis Yann Goupil. Je suis le référent accessibilité numérique de la Caisse des Dépôts (CDC) : je suis chargé de définir, mettre en œuvre et piloter la politique d’accessibilité numérique de cette belle institution.

J’ai un passé de consultant en systèmes d’information où, pendant 20 ans, j’ai contribué à des projets liés à la transformation numérique de grands comptes dans le secteur public et privé.

Concernant l’accessibilité, je m’intéresse au sujet depuis 2006. J’ai suivi une formation de 24 jours pour devenir Expert en accessibilité numérique en 2011, qui a clairement changé ma vie professionnelle.

Grâce à elle, j’ai pu accompagner des clients dans leur mise en conformité et en les formant.

C’est aussi grâce à cette formation que j’ai pu mettre en place une démarche pérenne d’accessibilité dans une des plus importantes institutions publiques françaises.

Quels ont été le ou les éléments déclencheurs qui ont amené à la prise en compte de l’accessibilité numérique dans votre organisme ?

L’événement déclencheur a été la création de la plateforme Mon Parcours Handicap, le site d’information officiel pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants, développé par la Caisse des Dépôts.

C’est le premier projet où l’accessibilité faisait clairement des impératifs dans le cycle de construction de cette plateforme numérique et où l’on nous a demandé d’être au plus haut niveau de conformité, c’est-à-dire non seulement d’être 100 % conforme au RGAA, mais aussi de prendre aussi en considération les critères AAA des Web Content Accessibility Guidelines (WCAG). À ma connaissance, c’est le seul site en France à avoir ce plus haut niveau.

Après la sortie de cette plateforme en 2019, il devenait inconcevable d’avoir produit une plateforme irréprochable d’un côté et de l’autre, posséder tout un parc de services numériques sans management de l’accessibilité.

Il a donc été demandé officiellement au Secrétariat Général du Groupe CDC de créer une fonction de référent accessibilité numérique au sein de la Direction des Systèmes d’Information (DSI) afin de construire une démarche pérenne et sérieuse.

Au quotidien, quels sont les outils sur lesquels vous vous appuyez essentiellement ?

Avant de parler outillage technique et étant dans un établissement public, j’ai d’abord diligenté deux marchés publics permettant d’outiller la démarche de la Caisse des Dépôts, à savoir un marché de formation et un autre concernant un volet « Conseil et audits ».

Concernant l’outillage technique, j’ai fait en sorte que tous les collaborateurs œuvrant de près ou de loin dans un projet de service numérique, puissent installer des logiciels sur leur poste comme le « Color Contrast Analyser » ou le lecteur d’écran NVDA, mais également bon nombre d’extensions de navigateurs comme « Headings Map », « WCAG Color contrast checker », « Tanaguru », etc. Tous ces outils sont utilisés par le pôle accessibilité numérique de la CDC ; les contrôles étant fait manuellement essentiellement.

Concernant les audits, nous sommes deux personnes à faire des audits au quotidien. Ce sont des audits sur des petites parties qui nous sont soumises de manière itérative et dans lesquels on remonte uniquement les anomalies (les équipes n’ont pas d’idée précise du taux de conformité RGAA en cours de construction).

Les audits de conformité au RGAA complets sont pratiqués par notre tiers certificateur (Access42) au moment où un service est mis en ligne. Ils viennent sanctionner les efforts qui ont été fait en amont. En général, de très bons résultats sont au rendez-vous.

Les audits de contrôle post-audit et les mises à jour de déclarations officielles sont effectués par le pôle accessibilité de la CDC.

Nous pratiquons également des tests d’usage, mais ceux-ci concernent plutôt les services numériques utilisés par nos collaborateurs.

La mise en accessibilité d’un site web peut paraitre insurmontable et faire peur à certains. Quels sont selon votre expérience, les trois conseils à donner à un organisme qui se lance dans la mise en accessibilité de son site ?

Je dirais que le premier point à intégrer avant de parler mise en accessibilité d’un site, qui est plutôt la conséquence d’une démarche, il faut que l’organisme soit au clair sur le fait que les personnes en situation de handicap ont des droits fondamentaux : droit au travail, droit au logement, droit aux transports, droit à l’éducation, etc. et que, le handicap (à ne pas confondre avec une déficience) est justement dû au fait que ces personnes évoluent dans des environnements souvent hostiles, en tout cas, non accessibles, non adaptés à leurs déficiences et qui les empêchent d’avoir une vie normale de citoyens à part entière. Ce n’est pas leur faute. C’est à la société de créer ces environnements accessibles pour une pleine inclusion.

L’accessibilité est donc avant tout un droit humain. Le nier, c’est faire de la discrimination et chaque organisme a donc une forte responsabilité quant à la prise en compte du sujet en son sein.

C’est donc le premier conseil : Prendre conscience de la place des personnes en situation de handicap dans notre société et assumer sa responsabilité de mettre en œuvre une inclusion pleine et entière.

Ensuite comme deuxième conseil, il faut absolument identifier une (ou plusieurs) personnes ayant le rôle de référent en accessibilité qui aura comme missions principales de définir une politique d’accessibilité et des objectifs stratégiques en respect des obligations légales en la matière, d’outiller son organisation (par exemple, en faisant en sorte que les parties prenantes soient sensibilisées et formées), de faire en sorte de distiller le sujet dans toutes les strates de l’organisation (Ressources humaines, Achats, DSI, métiers…) afin que chacun prenne sa part de responsabilité dans le périmètre qui le concerne, et bien sûr, piloter la mise en conformité des services numériques. Si le référent ne maîtrise pas le sujet qui lui est confié (ça arrive malheureusement très souvent), il doit lui-même être obligatoirement formé pour comprendre les enjeux et les tâches inhérentes à son nouveau métier.

Enfin comme troisième conseil et pour parler du caractère « insurmontable » posé dans la question, je dirais qu’il faut allier patience et persévérance. Le fait de partir bien souvent d’une page blanche, de réaliser le volume effectif des différents services ou types de contenus gérés dans l’organisation, de ne jamais avoir eu de formation sur le sujet, etc. peut impressionner. A cela, je répondrais d’être pragmatique et d’avancer petit à petit. Oui, vous aurez certainement beaucoup de travail. Oui, vous mettrez du temps à voir de premiers résultats tangibles. Oui, certains de vos services ne seront jamais accessibles car ayant accumulé trop de dette technique. Mais l’essentiel est déjà d’engager une démarche et de la faire grandir au fil du temps car toute l’organisation va également grandir sur le sujet. Vous n’aurez peut-être pas de résultats à court terme, mais c’est bien ce dont il s’agit, il faut créer une démarche qui se déploiera dans le moyen terme et sera pérennisée sur du long terme.